mardi, août 25, 2015

2 ou 3 idées pour fonder l’éthique … et la science


L’univers est le règne de la nécessité. Par la connaissance des lois inexorables de la nature, on peut prévoir les éclipses du soleil pour les prochains millénaires, comme on peut dater la pousse d’un grain de blé découvert des milliers d’années plus tard dans une pyramide égyptienne.

Le monde vivant introduit du jeu dans cette nécessité par le caractère irréductiblement imprévisible de ses comportements. N’est-ce pas ainsi que l’individu vivant se détache de la nature inanimée pour notre perception : on ne saurait prévoir à coup sûr ce que sera son mouvement ? C’est avec le vivant que la liberté apparaît dans la nature.

Cette liberté est la capacité pour l’individu vivant de varier les réponses à ses besoins pour une plus fine adaptation à son environnement. Cette liberté devient de plus en plus large au fur et à mesure de la complexification des organismes.

Cette liberté est encadrée, verrouillée même, par l’assignation d’une espèce vivante à un biotope déterminé. Car le bien de l’espèce vers lequel sont orientés tous ses comportements est fixé une fois pour toutes par la biosphère et inscrit en chaque individu par l’instinct. Ce bien est du côté de la verte prairie pour la vache, des champs de fleurs pour l’abeille, etc., c’est-à-dire qu’il consiste en une certaine configuration d’environnement en lequel l’espèce peut entretenir sa vie et la reproduire, et hors duquel elle dépérit.

Seule l’espèce humaine fait exception. Elle n’a aucun biotope déterminé qui lui soit assigné par la biosphère. Elle est en quelque sorte l’espèce errante. Elle doit se déplacer et choisir où se poser. Et ces déplacements sont extensifs (dans l’espace), mais aussi intensifs : modifier l’environnement au moyen de techniques est une autre manière de se déplacer.

Mais pour choisir où se mettre les hommes doivent savoir quel bien ils poursuivent, puisque ce bien n’est pas déterminé par un biotope. Seule l’espèce humaine a la liberté de définir son bien. Pour les autres espèces vivantes, la liberté est dans les moyens pour réaliser leur fin. L’être humain, lui, a la liberté de choisir sa fin. Même l’entretien de sa vie et sa reproduction ne sont pas des valeurs finales incontestables pour l’espèce humaine : l’homme peut faire le vœu de chasteté, il peut aussi choisir de sacrifier sa vie pour la justice.

Brunetto Latini, érudit florentin du XIIIème siècle, avait très bien exprimé cette essence de l’humanité dans son Livre des Trésors (vers 1265) : « Où que j’aille, je serai en la mienne terre, puisque nulle terre ne m'est exil, ni pays étranger ; car bien-être appartient à l'homme, non pas au lieu. »

Il y a une éthique parce qu’il y a conscience des hommes d’être libres et d’avoir la responsabilité du choix de leur bien. L’éthique c’est la reconnaissance et la préservation de cette valeur propre de l’homme. Cette conscience est à la fois intime – c’est bien la valeur de sa vie qui est en jeu – et universelle puisqu’elle est liée à la condition commune à tous les hommes. La morale, c’est l’ensemble des règles que les hommes se donnent pour conformer leurs comportements à l’éthique.

La contradiction fondatrice de l’existence humaine, c’est la confrontation entre cette liberté de choisir son bien et les nécessités de la nature. Pour mettre en œuvre sa liberté l’homme doit maîtriser les nécessités naturelles. Et pour cela il doit en faire la théorie, c’est-à-dire s’en donner une représentation rationnelle systématique. Cela lui permet de connaître les possibles en fonction desquels il peut définir son bien et envisager les chemins pour l’atteindre.

Très longtemps la théorie a eu recours à la causalité d’êtres surnaturels – donc hors de portée de l’expérience humaine – pour rendre compte de manière systématique des nécessités naturelles. Ce sont les récits mythiques. Mais à partir du VIème siècle avant J.-C., en Grèce, Thalès et les Milésiens ont inventé la science, c’est-à-dire la théorie de la nature qui ne sort pas de la nature – donc de l’expérience possible des hommes – pour rendre compte de la nature. L’intérêt de la science est d’être une forme de théorie qui donne à tout homme un droit égal de la construire, de la critiquer, et de l’améliorer, puisque ses fondements – l’expérience et la raison – sont partagés par tous les hommes.

Il faut considérer que la vocation première de la science est de permettre aux hommes d’approfondir leur liberté. C’est en ce sens que l’on peut comprendre la constante reprise, du VIème siècle au Ier siècle avant J.-C., du même titre pour les ouvrages des penseurs grecs puis latins : De la nature. Ils attendaient en effet de ce savoir la pleine lucidité sur le bien à poursuivre et la manière de l’atteindre – ce qu’ils appelaient la sagesse.

Dès lors ne faudrait-il pas dire que ce n’est pas tant la science qui a besoin d’éthique que l’éthique qui a besoin de science ?

Mais alors cela ne renouvellerait-il pas totalement le sens donné, aujourd’hui, à la science ?

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