samedi, novembre 26, 2011

Du moins pire usage de l’évaluation des enseignants

 
 
Il est évident que les enseignants doivent évaluer ; il n’est pas évident qu’ils doivent être évalués.

On peut définir ici l’évaluation comme un mécanisme social fondamental qui consiste, pour la société, à tirer le meilleur parti des compétences de chacun. Mieux vaut être soigné par un médecin diplômé que par un charlatan !
L’enseignant titulaire a, lui, déjà été évalué, et, sauf à changer de fonction, pourquoi le serait-il encore ?
Pourtant, non seulement l’enseignant est évalué, mais il est noté. La notation – l’évaluation quantitative – a pour fonction de classer les individus de façon à pouvoir les discriminer pour l’obtention de fonctions ou d’avantages.
L’évaluation quantitative des enseignants a pour but de les discriminer pour l’« avancement », c’est-à-dire, essentiellement l’augmentation de salaire.
Délicat ! Qu’évaluer ? Le but de l’enseignement, ce ne sont pas seulement les résultats des élèves aux examens ! Et de toutes façons, à travers l’alchimie d’un psychisme, qui peut hasarder un déterminisme entre la qualité d’un enseignement et les résultats ?
Si augmentation de salaire au long de la carrière il doit y avoir, ce qui est justifiable, elle pourrait aussi bien être automatique. D’ailleurs, par compromis avec les représentants des enseignants, elle était devenu semi-automatique – la notation, fortement déterminée par l’ancienneté, ayant largement perdu de son sens.
La bonne formule pourrait être pour les enseignants : pas d’évaluation, avancement automatique à l’ancienneté (comme une prime à la fidélité et à l’expérience), mais ouverture de la carrière (l’évaluation serait alors particulière aux candidats et relative à la nouvelle fonction visée).
Si l’enseignement se porterait sans doute mieux sans évaluation des enseignants, il est cependant clair que ceux-ci doivent être contrôlés. Ne frémissez pas collègues ! Qu’une institution soit sérieusement contrôlée est signe de sa bonne santé, et, plus largement de la bonne santé de l’espace public. Et on a tellement besoin d’un espace public solide ! Et cet espace public ne vit que de la contribution des citoyens. Mais le contrôle, c’est très simple et n’a pas à être lourd : il consiste à vérifier que l’enseignement se fait dans les règles. On raisonne ici du point de vue d’une démocratie réelle en laquelle les règles sont issues de votes des représentants du peuple, et non imposées par décret – toujours rappeler l’argument de base contre la réforme actuelle : elle n’est pas démocratique ! (Ainsi l’enseignant ne devrait pas s’opposer au remplissage du cahier de texte, mais exiger qu’il puisse le faire dans les meilleures conditions.)
Il est bien aussi que les enseignants puissent être accompagnés, et cet accompagnement pourrait être fusionné avec la formation permanente. Le rôle des « inspecteurs » pourrait être de piloter ce service.

Mais si l’évaluation des enseignants doit  être maintenue, de grâce, qu’on en reste à l’évaluation pédagogique par les inspecteurs ! Si cette évaluation – surtout en ce qu’elle est quantitative – ne peut qu’être passablement arbitraire, au moins porte-t-elle sur l’essentiel de la fonction enseignante, et est-elle faite par quelqu’un de compétent et d’expérience en la matière !

Rien de pire qu’une évaluation quantitative par le chef d’établissement ! (Quel que soit l’affichage, elle sera finalement quantitative car on va gérer tout ça via les tableurs).
Pourquoi ?
Parce que le chef d’établissement est désormais essentiellement un gestionnaire? C’est-à-dire quelqu’un qui gère à court terme son établissement d’enseignement du point de vue de la satisfaction des parents et de la hiérarchie, ce qui passe essentiellement par les résultats des élèves et l’image publique de l’établissement.

Mais l’enseignement n’est pas essentiellement un investissement à court terme. Pour preuve : ce qui permet de juger de la valeur d’un enseignement, ce n’est pas le diplôme acquis, le niveau de rémunération, le prestige du poste, c’est ce que cet enseignement permet de faire de sa vie, en quoi il permet de lui donner de la valeur. Car une vie, en notre temps, grâce au dieu progrès, est longue, et, pour la société, peu utilisent les mêmes compétences toute leur vie, et d’ailleurs l’évolution contemporaine le permet de moins en moins.
Mieux, l’enseignement a une fonction humaine vitale qui est d’entretenir le monde humain par transmission de la culture aux nouvelles générations. La culture ? Les savoirs et valeurs qui rendent l’humanité fière d’être humaine. Parmi ces valeurs : la valeur de justice et donc la démocratie.
Ce qui vaut, dans l’enseignement, c’est le long terme de l’individu, et même le long terme de l’espèce !
Il se trouve que nous sommes aujourd’hui soumis à un empire marchand, lequel fait régresser ces valeurs de justice et de démocratie, au profit des valeurs de plaisir et bien-être individuel par le moyen d’objets consommés.
La réforme actuelle de la notation des enseignants ? Une mesure de grande importance stratégique pour réduire les enseignants, et donc l’enseignement, aux valeurs du marché : former des individus conformes à la circulation accélérée des marchandises ! C’est-à-dire marginaliser, sinon effacer (il faut garder encore, pour le moment, un vernis de culture) les buts proprement humains de l’enseignement.

S’opposer à la réforme de l’évaluation des enseignants au nom de leur liberté face au pouvoir du chef d’établissement, au nom de leur solidarité face aux phénomènes de cour ? Oui, bien sûr !
Mais, n’est-ce pas, on vous répond : « c’est bien comme ça dans le privé, on n’en meurt pas, pourquoi garderiez-vous vos privilèges ? »

Mais s’opposer à la réforme de l’évaluation des enseignants au nom des valeurs humaines de l’enseignement : on vous écoutera !
Aujourd’hui le peuple, par-delà ses petites béatitudes consommatrices, est secrètement taraudé par une défiance incontrôlable face à l’avenir (qui n’a jamais eu d’équivalent dans l’histoire). Il sera heureux – ce sera un motif d’espoir – d’entendre les voix des enseignants défendre les valeurs d’avenir.

Au moins, le système actuel d’évaluation, tout insatisfaisant qu’il soit (la seule solution satisfaisante :  pas d’évaluation) reconnaît cette dimension à long terme de l’acte pédagogique !

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